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Oh oui, je sais, beaucoup d’encre à coulé, tant de mots ont été prononcés, suite à la chronique de Didier Porte en date du 20 mai 2010 sur France Inter. Alors pourquoi y revenir ?
Parce que, je crois, il est essentiel, primordial, de connaître non pas l’envers du décor, mais ce que j’appellerais une réalité radiophonique qui, peut-être, échappe aux auditeurs que nous sommes.
Aucun, notez-le bien, aucun directeur de radio n’apprécie le caricaturiste. Il le redouterait, plutôt. Et pour une raison, une seule : le rire est – comme ils disent – segmentant. Autrement dit, il n’est pas fédérateur. Or, tout responsable de station radiophonique, obnubilé par l’audience, les parts de marché, n’a qu’un objectif en tête : rassembler le plus d’auditeurs, que ce soit à 7h55, 12h23 ou 17h12.
On pourrait observer, là, un arrêt-pipi, tant cet objectif, quantitatif avant tout, s’il est compréhensible, peut expliquer aussi, à quel point la radio, plus particulièrement en France, est aujourd’hui ce qu’elle est : fade, conventionnelle, aux mots choisis, toujours les mêmes, sans relief.
Il y eut pourtant, vers la moitié des années 70, un espoir, une petite révolution. Quand ces radios qualifiées de “pirates” (et qu’elles soient vertes, rouges, brunes, roses ou noires) ont bravé la loi, le monopole, en apportant aux auditeurs qui le voulaient bien, une autre information, une autre façon de penser le monde et la société.
Ce fut un feu de paille.
Car – et pour aller vite - contrairement à ce que l’on pourrait croire, la libération des ondes, soit la fin (relative) du monopole d’Etat sur la radiodiffusion avec l’autorisation (très réglementée) d’émettre "librement" (1981, puis 1982), puis de diffuser de la publicité (1983), a conduit à une triste normalisation du paysage radiophonique français. En clair, les radios leaders d’avant ladite libéralisation (RTL, RMC, Europe 1) ont tout raflé. Je veux dire que petit à petit, elles ont repris la main, en rachetant les franchises (et donc les fréquences : le Graal ..).
Une seule a pu se développer, et ce n’est pas la plus subversive, loin de là, vu que c’est un infâme robinet à musique : NRJ (soit : NRJ, Nostalgie, Chérie FM, Rire & Chansons …).
Il est important d’avoir en tête cet élément : la radio française a raté sa révolution.
Mais revenons au rire, à la caricature.
Sur les radios dites “FM”, ce qu’on appelle “les matinales” (soit une tranche, variante, allant de 5h à 10h du matin) sont grosso-modo consacrées, ou livrées, à l’humour. Mais ce n’est pas un humour subversif, engagé, politique. C’est un humour potache. De petites blagounettes d’adolescents destinées à des adolescents. Et si parfois, ça tourne mal (comme Cauet viré de Fun pour une vanne très maladroite sur les camps de concentration - 17 janvier 1995) c’est avant tout dû – à mon sens – à un manque de culture. Car, et c’est incontournable, si on peut rire de tout, avec tout, en revanche, sans la culture nécessaire, je veux dire une culture de base, c’est impossible.
Point de rire sans culture.
Ça ne se danse pas du tout pareil sur les radios dites généralistes : RTL, Europe 1, France Inter et RMC Info. Où les matinales sont entièrement consacrées à l’information. Cependant, elles ont, hormis RMC Info, à cet horaire précis, un caricaturiste. Nicolas Canteloup pour Europe 1, Laurent Gerra pour RTL et Stéphane Guillon, Didier Porte et François Morel pour Inter.
La question que l’on pourrait se poser est bien évidemment : pourquoi ?
Pourquoi mêler l’humour, la caricature et l’information ?
La réponse ne vous étonnera guère : c’est parce que – comme ont dit dans le métier – "ça fait de l’audience". Mais une audience atypique.
Et pourquoi est-ce une audience atypique ?
Parce qu’elle constitue un “pic”. En clair, la chronique de ces caricaturistes est bien souvent plus écoutée que ce qui s’est passé avant et que ce qui se passera après.
On comprend alors mieux la raison pour laquelle les journalistes sont chafouins (quoi le rire serait plus important que NOTRE information ?).
En revanche, on comprend moins bien l’argument des directeurs d’antenne ou de stations (et des annonceurs – ne les oublions pas) celui qui consiste à dire que le rire est segmentant. Pourtant, c’est vrai. Il l’est. Dans la mesure où, c’est moins France Inter qu’on viendra écouter que Stéphane Guillon. Et aussi, et surtout, lorsque le caricaturiste livre son papier, sur dix auditeurs purs et durs (ceux qui sont là, pour l’information, si vous voulez), il en fait rire 3, 4 ou 5 ... En d’autres termes, le “rire” (ou la caricature) fait fuir l’auditeur. Si vous ne supportez pas Guillon, vous allez zapper. C’est évident.
Le “pic d’audience” s’explique donc par un apport massif d’auditeurs, mais qui, après la chronique, partiront. Pour la plupart.
Seulement voilà, cet apport massif est une bénédiction. D’autant plus pour les radios privées qui en tirent largement bénéfice(s) avec une augmentation pour le moins intéressante de leur part de marché, et il faut savoir que c’est elle, la part de marché, qui attire les annonceurs, et non l’audience brute.
De fait, même si ça déplaît aux journalistes, aux responsables radiophoniques divers, le caricaturiste est une “bonne affaire”, si j’peux m’exprimer ainsi.
Jusqu’à ce que ..
Or donc, vous comprenez désormais qu’il n’y a aucune solidarité, ni complicité possible, entre le journaliste et le caricaturiste. C’est de l’ordre de la cohabitation. Dès lors, il n’est pas étonnant de voir Thomas Legrand (chroniqueur de la matinale de France Inter) et Nicolas Demorand (journaliste-présentateur de la même matinale) se désolidariser de Didier Porte. Vu qu’ils ne l’ont jamais été : solidaires. Ils n’ont fait que le tolérer.
Certains, diront : le subir.
Il n’en reste pas moins que ce “lâchage” de Legrand et Demorand est, à mon sens, la marque de la mesquinerie, de la déloyauté, de la bassesse.
Et que dire de Jean-Marc Morandini [*], cet âne fini, brayant dans une tribune du gratuit Direct Soir (8 juin 2010) sa haine de Didier Porte, profitant qu’il fut à terre, pour l’achever, et de la façon la plus abjecte qu’il soit : en réclamant sa démission !
Ah, qu’est elle déjà loin cette année 2009, où Inter (comme RTL et Europe 1) communiquaient à tirelarigot sur ses caricaturistes ! Ah c’qu’ils en étaient fiers ! C’est que, voyez, en temps de crise, il est bon de rire, non ? Et peu importe que l’on mêle info et caricature, carottes et navets, après tout, ne sommes-nous pas au pays des Guignols de l’Info et de Yann Barthes ? Y’a bon la dérision ! Vas-y, fais nous rire, bouffon ! Mais que connaissent-ils du travail de ce qu’ils nomment : le bouffon ? Savent-ils le temps que ça prend de coucher des mots sur un papier, de les peser, toujours et encore ? Savent-ils combien de censures, il s’inflige, le caricaturiste ? Combien de fois, il retourne à l’ouvrage ? Combien il est difficile de faire rire quotidiennement ?
Et ceusses qu’ont porte au pinacle, aujourd’hui, les morts, hein, de préférence (ce qui prouve bien que pour eux, un bon caricaturiste est un caricaturiste mort) les Coluche (Europe 1, RMC, RFM), les Desproges (France Inter), savez-vous combien de fois ils se sont troués à l’antenne ? Combien de fois, ils sont passés à côté ? Vous souvenez-vous que de leur vivant, ils étaient nombreux, les pisse-vinaigre, les Legrand, les Demorand et les Morandini de l’époque, à les trouver “pas drôles” ou “vulgaires” ? Ah, c’est facile, aujourd’hui, hein, de leur trouver toutes les qualités, c’est sûr qu’ils ne viendront plus vous faire chier. Vous êtes tranquilles ! Ah, ça ! Ils peuvent être drôles, hein, maintenant qu’ils sont morts ! Qu’est-ce que ça vous coûte ?
Mais, enfin, au fait, et bordel à chien, qu’est-ce que cela veut dire : “Porte n’est pas drôle” ? Hein ?
Tenez, moi, par exemple, Gerra, il ne me fait pas rire. Du tout. Canteloup, rarement. Et alors ? Cela signifie-t-il qu’ils ne sont pas drôles pour autant, ces deux-là ? Apparemment non. Sinon, y’aurait personne pour venir se bidonner à leurs spectacles (tout comme à ceux de Porte, Morel et Guillon).
Qui décide de (ce) qui est drôle et de (ce) qui ne l’est pas ? Le nombre ? … Les journalistes ? … Eh bien, si c’est le cas, on va pas rigoler tous les jours. Et c’est bien parce qu’ils, les journalistes, se prennent pour un nombril (et j’peux en causer) du moins certains, et pas qu’un petit peu, ah ça non, que de leur coller un caricaturiste dans les pattes, est nécessaire. C’est pas pour cela qu’ils feront mieux leur métier ; faut pas rêver, non plus ! Mais ça leur rabat un tant soit peu le caquet !
Oui, parce que l’info qu'ils nous donnent à becqueter est incomplète, partiale, standard, conventionnelle, une info à 500 mots, pas plus, parfois même complaisante, pour ne pas dire obséquieuse.
Oui, c’est bien parce que le journalisme français est plat, sans la moindre percussion, et que, par-dessus le marché, il se pense incontournable, qu’il faut lui adjoindre un bouffon. C’est vital.
Tout en précisant que le caricaturiste n’est pas là QUE pour faire rire. Ce n’est pas un clown ! Le caricaturiste caricature, c’est une lapalissade, mais il est, je crois, utile de bien le rappeler.
Et qu’on les apprécie ou pas, qu’ils nous fassent rire ou pas, peu importe ! On s’en moque ! Chacun voyant l’humour à sa porte !
J’estime que ces mecs font leur boulot. Et ils le font bien. Et que nous en avons besoin.
Ne laissons pas l’information aux seuls journalistes ! Parce qu’elle est, cette information, ca-ri-ca-tu-ra-le !
Alors, continuons, oh oui, à caricaturer la caricature ! Aimons nos bouffons !
Mieux : défendons-les !
Non parce qu’ils nous vengent, non parce qu’ils sont drôles, mais parce qu’ils sont : nécessaires.
[*] Dans son billet en date du mardi 8 juin 2010, Jean-Marc Morandini, courageux comme toujours, perroquet pathétique, reprend les mots de Demorand et Legrand.
Comme eux, il parle de “vulgarité” et d’”insanités”.
Il ose même écrire, ce godillot, que “nous sommes nombreux à ne pas avoir envie que notre redevance serve à financer cette vulgarité”. Et il précise : “Dans n’importe quelle autre radio, un animateur qui hurle ainsi de telles insanités à une heure de grande écoute aurait été immédiatement remercié”.
Nonobstant le fait que je ne vois pas de quelle(s) radio(s) parle ce monsieur Morandini, qui plus est, que sa vision radiophonique m’effraie, me désole, et me semble sortir tout droit d’une dictature, il me plaît de rappeler que sur Europe 1 où “officie” ledit Morandini, Laurent Baffie (que j’apprécie beaucoup) avait tagué sur les murs de la station de la rue François 1er : “Fuck Lagardère”.
Même que ça a fait un p’tit tour sur l’Internet.
Je présume que Môssieur Morandini a été derechef, voir son cher Arnaud Lagardère, pour s’offusquer de ces “insanités” de cette “vulgarité”, et réclamer la tête de son collègue, Laurent Baffie ..