Dans quel état les majors du disque vont-elles laisser le marché, après que la crise aura fauché les unes après les autres toutes les start-up de musique en ligne qui ont émergé l’an dernier ? La dépréciation récente, par Warner Music, de ses investissements dans Imeem et Lala.com, en dit long sur la réponse à cette question.
Le Deezer américain Imeem, que l’on disait en cessation de paiement fin mars, vient de sauver sa peau une nouvelle fois. La start-up a convaincu certains de ses investisseurs, dont le fonds Sequoia Capital, de remettre au pot pour lui permettre de tenir quelques mois de plus. A defaut d’être de ce tour de table, Warner Music, actionnaire d’Imeem au même titre que les autres majors du disque, a effacé une ardoise de la start-up d’un montant de 4 millions de dollars dans ses comptes trimestriels.
Mais la major, qui affiche une perte nette de 68 M$ au premier trimestre 2009, sur un chiffre d’affaires de 668 M$ (- 16,5 % sur un an), doit surtout cette contre-performance à la dépréciation de la totalité ses investissements dans Imeem (16 M$) et, pour moitié, de sa participation dans un autre site de streaming américain, Lala.com (11 M$).
Selon les rumeurs qui circulaient la semaine dernière dans la Silicon Valley, l’ardoise totale d’Imeem à l’égard des quatre majors de la musique s’élèverait à 30 M$. Un chiffre contesté par un porte parole de la compagnie, qui parle d’une dette à un seul chiffre. La vérité est probablement entre les deux. Proportionnellement aux parts de marché de Warner Music, la dette d’Imeem s’élève certainement aux alentours de 20 M$.
Start-up condamnées à mort
D’évidence, la crise financière n’est pas la cause principale des difficultés d’Imeem et de ses consoeurs. Elle n’obère que leurs capacités de refinancement. Mais ce sont toutes de jeunes pousses encore fragiles, aux modèles économiques embryonnaires, que les majors n’ont aucune intention de ménager et qu’elles n’hésitent pas à plumer. On peut se demander dans quelle logique elles s’évertuent ainsi à tuer le marché dans l’oeuf.
CNN révélait il y a peu qu’Imeem vend sa publicité à 4 $ de CPM (coût pour 1000 affichages), ce qui ne couvre pas 40 %, dans le meilleur des cas, de ce que la compagnie doit reverser aux majors du disque au titre du minimum garanti par titre diffusé, soit 0,01 $. Seul un CPM à 10$ le lui permettrait, et encore ne couvrirait-il pas la part de revenus publicitaires que les majors doivent toucher, encore moins ses coûts opérationnels.
Toutes ces start-up de musique s’évertuent à multiplier les sources de revenus, qu’il s’agisse de vendre de la musique en téléchargement, des tickets de concert, des abonnements sur les mobiles ou du merchandising. Ainsi Imeem, en permettant de télécharger des playlists entières sur iTunes, a doublé ses revenus en provenance de la plateforme. Mais ce ne sont en l’état que des opérations pilotes, et les revenus générés sont insignifiants.
Sur le papier, toutes ces start-up, qui se retrouvent à devoir financer des pertes mensuelles se chiffrant en millions de dollars, sont donc condamnées à mort à très court terme. Une seule raison à cela, hormis la difficulté, désormais, à se recapitaliser pour faire face à l’avidité des grandes maisons de disques : la cherté des licences accordées pour le streaming interactif sur Internet.
Plus l’audience de ces sites croît, plus leurs coûts en bande passante sont élevés, et plus le montant des licences payées aux majors, qui augmente mécaniquement, est ruineux pour eux. Comme ils ne dégagent aucune rentabilité, leur sort est réglé d’avance.
Préserver l’oligopole des majors
Le problème n’est pas nouveau. Sauf que l’époque où des start-up comme Last.fm, à des années lumière d’être profitables, pouvaient espérer se vendre 280 M$, est désormais révolue. Le Deus ex machina est grippé.
Imeem a échoué, l’hiver dernier, dans sa tentative de se vendre au plus offrant. Et sa valorisation financière, estimée autour de 200 M$ à l’époque, a fondu comme neige au soleil. Pour les investisseurs, il n’y a plus aucune porte de sortie potentiellement lucrative. Car la matrice de toutes les bulles, la bulle financière, a explosé elle aussi. Capitaux, circulez, y a plus rien à voir !
Du coup les majors, qui ne veulent tout de même pas voir disparaître cette manne du streaming, lâchent un peu de lest. Certaines d’entre elles, dont Universal Music, ont déjà accepté de revoir le prix des licences accordées à Imeem à la baisse. Warner Music reconnaît négocier. Mais il ne s’agit que de maintenir Imeem sous perfusion.
En réalité, les grandes maisons de disques se soucient comme d’une guigne de voir les start-up de musique en ligne déposer leur bilan les unes après les autres. Le marché est bien verrouillé. Le prix des licences érige une barrière à l’entrée infranchissable. Le ménage se fera naturellement.
Au final, seul un petit nombre d’acteurs sous contrôle, dont elles détiendront certainement une part non négligeable du capital, se montrera capable de survivre, en payant le prix le plus fort possible. L’oligopole des majors sera préservé. Deezer sera devenu un sorte de NRJ 2.0. Les acteurs de l’innovation, comme les labels indépendants, n’auront plus que leurs yeux pour pleurer.
Source : Philippe ASTOR, pour ElectronLibre
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