Par Didier LESTRADE
Il y a vraiment un truc qui m’a turlupiné depuis la mort de MJ. Je sais, le sujet n’est plus chaud du tout, il est au contraire presque glacial malgré le fait qu’on nous sorte des morceaux posthumes vraiment ratés et un film encore plus tartignole et ne parlons pas de la tournée à venir avec les cons de frères. Je m’étonne que l’on puisse encore acheter quoi que ce soit avec dessus le nom de Michael Jackson. Je trouvais déjà complètement débile de monter une série de 50 concerts à Londres puisqu’il était évident que MJ ne pourrait jamais tenir la distance, surtout devant le public pop le plus éduqué au monde. J’ai trouvé pathétique le délire qui a entouré sa mort, du début à la fin. Les gens qui chialent, les amis au bord de la dépression sur FB avec des commentaires qui ne veulent rien dire comme « Oui mais c’est émouvant quand même », les cons qui courent acheter les albums qu’ils ont raté pendant les vingt dernières années, la famille de MJ qui est vraiment le clan le plus risible de la musique dite moderne, la laideur du « show » au Staples Centre (vraiment, il y a quelqu’un à la régie qui sait ce que « éclairage » veut dire ?), et puis les enterrements successifs. C’est du comique de A à Z et épargnez- moi le truc new-yorkais à la Body & Soul, dans le genre « Tu peux pas dire ça sur MJ, le mec a révolutionné la place des Noirs dans l’Amérique et le monde ». Sure. Pass me the mayo. Même Obama a déclaré que la vie de MJ était « triste ». Il faut remonter au Crétacé Supérieur pour trouver un dinosaure aussi malheureux. Il n’y a rien dans cette affaire qui procure de la vraie émotion, celle qui fait chavirer les plus cyniques d’entre nous, celle qui fait ravaler les moqueries avant même qu’elles soient formulées. Tout a été laid dans cet enterrement et on se demande où est ce foutu médecin qui a administré ces doses de cheval de Propofol, sûrement peinard à Acapulco, menaçant d’écrire le livre dans lequel on finira par avoir la liste complète des prescriptions de c’te folle de MJ. Il doit déjà avoir un cabinet à Los Angeles avec la plaque sur la porte « I KILLED MJ ». Tout a été cheap et laissez-moi être spécifique sur ce point : tout.
Bref, je me suis senti exactement comme pendant l’été 1977 (je sais, this is showing my age) quand je suis arrivé à Paris, juste au moment où Elvis clamsait. Quel soulagement, me suis-je dit en me promenant sur une des avenues du 16ème arrondissement après avoir volé plusieurs pots de crème aux amandes dans un magasin La Vie Claire de la place Victor Hugo : « Maintenant on va pouvoir enfin vivre tranquille ». C’est ce que je me dis à chaque fois qu’un grand bonnet de l’entertainment crève. Romy Schneider ? She used to play on Hitler’s lap, for Polanski’s sake ! No wonder she was depressed all the time ! Edith Piaf ? She was so black n white ! James Brown ? Il était tellement hétéro !
Non, le truc qui m’a le plus énervé, encore une fois, c’est le mensonge. J’ai déjà écrit un post qui disait, en substance : y’a personne qui va dire que c’était une folle lubrique ? Est-ce qu’on va aborder le sujet de la sexualité de MJ ? Oui, le fait que l’on n’ait pas insisté sur ce point est tout à fait normal, c’est un décès que l’on peut qualifier de…mondial, c'est un maxi-grief quoi! Mais c’est précisément là l’idée. Vous avez souvent des folles qui sont admirées par pratiquement 6,3 milliards d’habitants sur la planète ? Bon, imaginons, à la louche, qu’un milliard de Terriens ne savent pas qui est MJ, ou qui n’en ont rien à péter. Ça vous donne quand même 5 .3 milliards qui sont apeshit devant l’annonce de sa mort et qui s’engouffrent dans le cliché du Roi de la Pop alors que le mec n’a rien fait depuis 10 ans. C’était quand la dernière fois que vous avez eu une folle qui a ce degré de pénétration domestique ? Elton John au moment de la mort de Lady Di ? Même pas. Après tout, c’était pas lui la star N°1 même si c’est difficile de cacher Elton John dans le background d'une basilique. Non, MJ a réussi à mettre dans la poche 5.3 milliards d’habitants qui, pendant quelques jours, ont oublié la crise, la famine, la maladie, la soif, la guerre et le chargeur du portable qui est introuvable.
D’où mon point. Quand vous avez 5.3 milliards de personnes qui sont là à bramer parce que MJ est mort, ça veut dire que l’ensemble de la planète préfère ravaler le dégoût que leur inspire le visage de MJ qui, je vous l’assure, n’est pas quelque chose que vous avez envie de mettre dans n’importe quel cadre sur le mur. Même si on met de côté le conditionnement médiatique de cette affaire, ça veut dire que 5.3 milliards de personnes, avec des cultures très différentes, ont décidé d’occulter qu’ils étaient en train de chialer la disparition de la plus grande folle de tous les temps. Ce qui veut dire beaucoup de choses sur nos capacités d’absorption de la follitude en général. Ça dit beaucoup de choses sur la sublimation de l’homophobie. Ça veut dire que plus gros le mensonge est, plus il est accepté avec une ferveur sans précédent. MJ était un child molester et la condamnation était unanime lors de ses procès. Et il suffit qu’il disparaisse pour qu’un cordon de sécurité se forme tout de suite dans sa communauté pour faire taire la moindre rumeur qui puisse entacher sa sexualité.
J’ai déjà vécu ça plein de fois dans mon travail de journaliste. Quand je me suis mis à rencontrer les DJs et producteurs qui avaient connu Larry Levan, j’étais très étonné de voir que le silence était général sur les conditions de sa mort. Je n’étais vraiment pas en train de chercher la petite bête pour révéler des détails sordides sur son addiction, sa mort, et tout ça, j’étais bien trop fan du Paradise Garage. Ce qui m’intéressait, c’était de rassembler les personnages qui l’avaient aimé, pour qui sa musique avait été déterminante. Et après avoir rencontré plusieurs fois certains DJ’s comme Frankie Knuckles, j’ai fini par comprendre que la version officielle était partagée par tout le monde : surtout ne rien révéler pour protéger la mémoire d’un héros de la dance music américaine.
Mais le cas de MJ n’a rien à voir avec ce qui s’est passé avec les autres. Ici, ce sont les gens qui l’admiraient qui ont fait office de cordon sanitaire, bien mieux que la famille, l’entourage proche ou les médias. Les 5.3 milliards de personnes avaient vraiment envie de soutenir et d’encourager ce mensonge. Ils n’avaient pas envie qu’on leur casse le plaisir de leurs émotions, ils ne cherchaient surtout pas à se rappeler cet étrange haut-le-coeur qu’ils ressentaient à chaque fois qu’ils voyaient MJ de son vivant. Pour moi, l’homosexualité de MJ ne fait pas de doute et ces centaines de millions de fans ont voulu absolument écarter cet aspect de leurs pensées au moment où ils étaient si occupés à célébrer son souvenir. D’un point de vue militant gay, c’est quand même un des rares moments de la culture moderne de masse : un homosexuel, ayant entériné depuis longtemps l’amalgame si redouté (homosexualité et pédophilie, eeeeeeeek!), se trouve amnistié par l’ensemble de la planète dans une oblitération complète de ce qui a fait de lui un freak.
Certains ont vu ça comme une manifestation exemplaire de la tolérance, non seulement vis-à-vis de MJ, mais aussi vis-à-vis de toutes les polémiques qui l’entouraient. Au lieu d’utiliser un Stabilo pour souligner tout ce qui était effrayant chez lui, le public, sur les cinq continents, a décidé de courir vers l’effaceur. De mémoire de vieille folle, je ne crois pas avoir vu ça de ma vie. C’est du « damage control » intériorisé, parce que des millions de personnes, sans en discuter, on décidé, en masse, de faire l’impasse sur ces questions. Et je ne pense pas que ce soit une bonne chose, finalement. Parce que tous ces fans n’ont pas exprimé qu’ils aimaient MJ en dépit de la pédophilie, de la gestion totalement ridicule de sa carrière, de son image, et plus important : de sa musique qui n’a finalement pas cessé de dégringoler. Ils ont décidé de passer outre, et de ce fait, ils ont apposé le sceau de leur étroitesse d’esprit au moment de la disparition de la plus folle des grandes folles, de la pédale la plus incohérente de tous les temps. Les gens ont aimé MJ parce que c’était un freak qui était évidé de toute sa freakitude, dans un mouvement généralisé d’hypnose mondiale. C’était le seul moyen pour eux de saluer sa mort en faisant semblant de rien voir.
Et tout ceci est à mettre dans une perspective moderne où les questions de genre n’ont jamais été autant discutées. Après tout, comment décrire MJ, surtout au vu de ses enfants ? Comment peut-on faire semblant de ne pas voir l’étrange particularité de cette descendance, à la peau blanche, aux cheveux blonds, avec un vrai père biologique britannique et une mère porteuse dans le secret et tout ce que cela sous-entend en termes d’insémination artificielle ou de financement de la procréation ? On est là au centre d’un noeud de sujets complètement identitaires sur ce que l’on a le droit de faire (ou pas) dans le cadre d’une « famille ». Si un pédé ou une lesbienne se trouvaient à la télé avec des « enfants » aussi déracinés de leurs origines, la fureur serait pratiquement générale. Mais MJ n’est pas gay, pour ses fans, et donc il peut passer à travers des jugements qui seraient sans appel pour les autres. Du genre : « Waitaminit, Paris est un peu blanche, non ? On dirait la voisine!». C’est un peu ce que révélait Nicholas D.Kristopf dans son édito du New York Times du 4 octobre de l’année dernière, « Racism without racists ». Dans la rue, si quelqu’un est à terre, les blancs appelleront à l’aide à 75% si la victime est blanche. Si la victime est noire, ils ne seront plus que 38% à appeler à l’aide.
Will the real MJ please stand up ?
Well, she’s dead now.
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