mercredi 27 janvier 2010

Apple, un nouveau contrat de civilisation





Un jour cette expression aura tout d’une lapalissade : "Apple est le microsoft de la culture et de la connaissance". Et de ce jour Microsoft connaîtra un déclin, inéluctable. Ce jour n’est pas si loin. Nul besoin de se demander dès maintenant s’il faut s’en réjouir, car la domination d’une entreprise est en soi un problème pour le reste du marché, mais plus inquiétant pour la société tout entière.

Microsoft n’avait finalement été qu’un galop d’essai. Une timide percée du virtuel dans nos vies ; rien de vraiment capital. La société de Redmond n’a finalement contrôlé qu’un marché de la boite à outil informatique, celle qui permet d’écrire, d’échanger ou de regarder des sites Web. Des éléments essentiels, mais sans significations majeures, ni fondements pour établir une civilisation. L’empire de Microsoft s’appuie sur des bidouilles informatiques érigées en éco-système.

Apple n’appartient pas du tout à cet ordre là. La différence est importante, immense entre les deux sociétés. Steve Jobs, son patron et créateur avec Steve Wozniak, l’a toujours affirmé, il s’agit pour lui de changer le monde, pour en bâtir un nouveau. Cette antienne était celle de ses débuts dans l’euphorie des années 70 de la Silicon Valley, mais elle reste plus encore d’actualité aujourd’hui, que la firme en a enfin les moyens...
Et comme toutes les grandes aventures, Apple a commencé doucement à l’abri des regards pour changer en profondeur les choses. L’histoire a commencé par une décision drastique, prise alors que Steve Jobs revenait aux commandes d’Apple au milieu des années 90. L’ordinateur ne devait plus être un outil, gris, beige, moche pour tout dire, que l’on cantonnait au bureau, pour être enseveli sous le courrier en retard... Steve Jobs a mis le design de ses produits au coeur de son process de conception et de réalisation. L’iMac, premier ordinateur né de cette exigence neuve, a permis de sortir l’ordinateur de son "no man’s land" de la bureautique.

Cafetière

L’étape suivante est plus étonnante. Apple n’avait pas prévu que l’iPod allait connaître un tel succès. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, ce petit appareil destiné à écouter de la musique est devenu en quelques mois le meilleur agent de publicité de la marque ; bien que bénéficiant d’une forte notoriété, Apple n’avait jamais réellement vendu en dehors d’un cercle d’initié. l’iPod fut la révélation pour le grand public qu’autre chose était possible en dehors de la tarentule Windows.
Depuis ce coup d’éclat Apple s’est pris à rêver de sa toute puissance. Et, plus étonnant, le monde lui a tendu un miroir complaisant. L’iTunes Store a ainsi totalement transformé l’idée que l’on pouvait se faire d’une boutique en ligne. Les Apple Store en dur ont réussi ce même tour de force. Que dire aussi d’iPhone, dont la progression des ventes tient du miracle pur et simple en ces temps de crise économique !
Le cas iPhone mérite que l’on s’y attarde. Son succès mondial sous-tend la victoire totale de l’ordinateur sur le reste des objets. Le téléphone mobile n’était pas "sexy" avant iPhone, car sa conception tenait plus de la cafetière... Apple a introduit l’intelligence au coeur de la téléphonie mobile. Oubliant volontairement, au passage, qu’un téléphone était vendu jusque-là pour ses caractéristiques techniques. En se déterminant sur d’autres critères, comme l’interface, le mode opératoire ou bien l’accès à un catalogue d’applications, Apple a changé le paradigme du secteur, et l’a préempté aussitôt. Il n’y a pas de concurrent aujourd’hui. iPhone est dans une catégorie à part. Et cela va durer.

Gutenberg

La tablette qui sera dévoilée demain agît comme un concentré de tous les atouts du jeu d’Apple : l’interface sans pareille, l’ordinateur au coeur de la vie ordinaire, la simplification d’accès aux univers de la connaissance et du divertissement, tout ça dans une ambiance cool et décontractée. Apple est d’ailleurs la victoire dans le domaine de la technologie de l’âge du "teenage américain", qui a déjà sévit dans d’autres secteurs, comme le cinéma ou la musique.
L’armature est en place donc, les voiles gonflées, mais où va-t-on ainsi ? Apple n’est pas une société inoffensive, comme l’a été Microsoft. L’ogre de Redmond n’a été qu’un jouet pour enfants, ou adultes attardés. Cette entreprise n’a aucune envergure, à l’image de son fondateur. Elle a procédé sur son marché naturel avec une stratégie de rouleau compresseur, et s’est peu souciée du destinataire, en clair de satisfaire les clients. Dans sa version grand public Windows n’est pas un produit destiné à être vendu, mais à être adopté par l’utilisateur sans autre alternative. C’est très différent.
Apple doit séduire - et certainement agacer aussi, mais c’est le contrepied du premier. Car la firme de Cupertino va dans les années qui lui reste, celle de son hégémonie, de son climax industriel, avant l’inévitable déclin, déterminer les principes d’un nouvel accès à la culture, à l’information et au divertissement. L’effet sera forcément tellurique. On le comparera avec le recul nécessaire à ce que l’imprimerie de Gutenberg fut à l’aube de la renaissance. Ni plus, ni moins. Et, il serait honnête dès aujourd’hui d’éviter les erreurs sans cesse répétées par le passé d’encenser les grands créateurs, une fois passés de vie à trépas.

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